Le Bulletin des APM
Volume XIV, numéro 1, printemps 2024
C'est le printemps, la saison idéale pour parler de lettres d'amour. Il est naturel que dans des fonds consacrés aux écrits personnels se trouvent des correspondances amoureuses. Les APM renferment plusieurs liasses de lettres dans lesquelles deux personnes qui voudraient être ensemble, qui souhaiteraient se parler, se toucher, mais qui sont séparées, se courtisent à distance. Des gens, qui parfois ne se sont rencontrés qu'une fois ou deux, recourent à l'écriture pour exprimer leurs sentiments, leur incertitude, leur crainte des sentiments sans retour, chaque semaine ou même presque chaque jour. On s'ennuie de l'autre et les lettres n'arrivent jamais assez vite.« Après une belle semaine passée près de toi, l'absence me fait mal », écrit l'étudiant André Boucher à l'étudiante Irène en 1968.
L'écriture rapproche et développe l'intimité, l'éloignement suscite la découverte. Les amoureux passent bientôt aux confidences, révèlent leurs faiblesses et vantent les qualités de l'autre : sa personnalité, sa façon de s'habiller, ses manières, son ardeur à l'ouvrage. Chaque correspondant prodigue des conseils et exprime une sollicitude attentive pour l'autre : que Louison n'attrape pas un rhume, s'inquiète Renault; que Gisèle ménage ses forces implore Jean : « ne travaillez pas trop fort, ménagez-vous »; que Louis-Philippe ne travaille pas trop fort dans la construction lui demande Rollande. Elles et ils entendent corriger leurs défauts comme l'exprime Renault qu'on dit trop sensible : « Avec votre concours je me corrigerai de ce défaut. Ce n'est pas le seul que j'ai à corriger mais il ne faut pas que je vous les fasse tous connaître à la fois ».
De ce qu'on appelait les fréquentations, le prétendant passe à la « grande demande » tant appréhendée par ceux qui vont demander à leur futur beau-père la main de leur dulcinée : « J'ai pensé à la grande demande que j'aurai à faire un de ces dimanches, tu sais ça me coute pas mal mais je vais le faire quand l'occasion se présentera parce que je t'aime », écrit Louis-Philippe.
Aujourd'hui, en lisant ces lettres sur du papier bleu, rose, ou jauni, on se soupçonne d'indiscrétion, de voyeurisme même, mais déjà captivée par l'intimité des correspondants, il est difficile de s'en détacher et de ne pas suivre l'évolution de leurs sentiments. Car ces lettres et leurs protagonistes sont extrêmement attachants.es.
Et le mariage n'éteint pas toutes les ardeurs comme en font foi les lettres de Léo Delorme, marié quelques mois avant d'être conscrit, à celle qui demeure « mon amour », et celles de Rollande Bourgault et de Louis-Philippe Coulombe. Éloigné par son travail en 1949 et 1950, Louis-Philippe écrit à sa « bien chère amie », qui devient « chère fillancé », puis « bien chère épouse » et enfin « bien chère Rollande ». Celle-ci, dans sa première lettre, s’adresse à « Cher Louis-Philippe », puis à « Bien cher Louis-Philippe », puis « mon petit Philippe » et enfin, « Cher mari » quand elle signe « ta petite femme qui t'aime plus que tout au monde » .
Les APM recèlent trois fonds de correspondance amoureuse de militaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Léo Delorme, Jean Tardivel, Renault, aucun n'est allé au front et tous avaient beaucoup de temps pour écrire. Ils s'ennuient d'une base militaire à l'autre, de Trenton, de Victoria, de Goose Bay, de Halifax, et pour Delorme, de l'Angleterre. Dans des lettres, plus nombreuses que celles qu'ils reçoivent, ces jeunes hommes dans la vingtaine livrent leurs sentiments, leur ennui surtout, et parlent aussi de choses plus concrètes, de leur vie quotidienne, de leurs exercices et de leurs loisirs.
De ses camps d'entraînement, Jean Tardivel vient « causer », « faire un brin de jasette », avec Gisèle Charbonneau qui termine son cours d'infirmière à Montréal. De sa première lettre, le 31 décembre 1943, à la dernière en 1946, le ton change, on passe du vous au tu, confondant parfois les deux dans la même lettre : « Bonsoir ma belle et charmante fiancée, je vous aime profondément et je ne vis que pour vous. Je vous serre dans mes bras, mes lèvres sur tes lèvres, je vous redis je t'aime... je t'aime » (17 août 1944). Et dès le lendemain, ils se tutoient pour toujours. (APM38) Gisèle lui répond avec autant d'empressement, peut-être moins fréquemment se plaint-il.
Pour le soldat Delorme (APM85), la séparation vient beaucoup trop tôt après son mariage à Rose Boutin. Stationné en Angleterre en 1945, il écrit, ou plutôt répète : « Ma chérie, me voici encore installé pour venir causer avec celle qui ne quitte jamais ma pensée et avec qui je voudrais bien me voir en ce moment… ».
Quel que soit le milieu social des amoureux éloignés, des sentiments similaires s'expriment avec les mêmes mots. S'y glisse parfois un poème, un dessin ou une photo. Ces missives ont été conservées par les récipiendaires et leurs enfants et nous leur savons gré de les avoir confiées aux APM.
On trouve les lettres d'amour citées dans les fonds : André Jacob (APM79); Charbonneau Tardivel (APM38); Famille Marcel Coulombe (APM66); Léo Delorme (APM85); Louison Renault (APM20); Maheu-Pépin (APM54).
On peut écouter des extraits de correspondance amoureuse, tirés des fonds des APM, sur Sound Cloud https://soundcloud.com/archives-passe-memoire
La BAnQ possède dans ses fonds plusieurs correspondance entre couples. Mentionnons la volumineuse correspondance (plus de 850 lettres) du fonds Jean-Paul Beaulac et Apolline Groulx (P10007) qui, pendant la Seconde Guerre, se sont écrit presque chaque jour. On trouve aussi des correspondances amoureuses dans les fonds suivants : Olivar Asselin (CLG72); Souhail et Sabine Eid (P929); Gérard Lessard et Jeannine Nadeau (P806); Hélène Pelletier-Baillargeon (P10008); Pierre Vadeboncoeur (P10010); Michelle Le Normand et Léo-Paul Desrosiers (MSS26).
Pour la conservation des lettres d'amour, la palme revient à ce musée italien, niché dans les Abruzzes à Torrevecchia Teatina, qui se voue à leur préservation depuis 2011. En un peu plus de 10 ans, le musée a recueilli plus de 20 000 lettres d'amoureuses et d'amoureux. https://fr.italiani.it/le-mus%C3%A9e-des-lettres-d%27amour-%C3%A0-torrevecchia-teatina%2C-un-tr%C3%A9sor-d%27histoires-intemporelles/
L'historienne Sonia Cancian a exploré le terreau fertile des lettres d'amour d'Italie. Après un premier ouvrage, Families, Lovers, and their Letters: Italian Postwar Migration to Canada, (Winnipeg, University fo Manitioba Press, 2010), elle a récemment traduit et édité la correspondance amoureuse d'Antonietta Petris, qui quitte son Ampezzo natal pour émigrer à Montréal en 1947, et celle du vénitien Loris Palma qui vient la rejoindre en 1949 : With Your Words in My Hands: The Letters of Antonietta Petris and Loris Palma (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s U.P., 2021). Cancian a aussi co-dirigé deux collections d’articles sur le sujet : Migrant Letters: Emotional Language, Mobile Identities (Londres, Routeldge, 2019), et Writing Practices in Historical Perspective Emotional Landscapes: Love, Gender, and Migration (Chicago, University of Illinois Press, 2021).
Aux Éditions du Mauconduit, à Paris, Véronique Leroux-Hugon a publié des lettres d’amour tirées des fonds déposés à l’Association pour le patrimoine autobiographique (APA). Dix correspondances amoureuses du XXe siècle abordent non seulement les sentiments des épistoliers, mais fournissent des récits du quotidien des personnes séparées. Amoureux, lettres d’amour retrouvées, Les éditions du Mauconduit, 2021, 140p.
Le Comité international de la Croix-Rouge contient plusieurs lettres d'amour entre personnes emprisonnées et leurs proches, qui les ont fait acheminer par l'Agence Centrale des Prisonniers de Guerre (ACPG), mais qui n'ont jamais atteint leurs destinataires. À partir de 1939, l'ACPG a transmis plus de 20 millions de lettres. https://blogs.icrc.org/hdtse/2020/11/04/seconde-guerre-mondiale-extraits-de-lettres-d-amour-entre-prisonniers-et-bien-aimees/
Dans un tout autre registre, qu'en est-il de la correspondance entre amoureux dans les pays où les mariages étaient, et sont parfois encore, arrangés? Danni Cai s'est penchée sur les lettres de refus, adressées à la personne qui a tenté d'arranger le mariage, au début du XIXe siècle. Elle a publié « Model Letters Declining Arranged Marriages: Changing Formulas for Family Correspondence in Modern China », dans le Journal of Epistolary Studies, III, 1 (2022).
CORRESPONDANCE AMOUREUSE PUBLIÉE
Denys LESSARD, ed., Ton kaki qui t'adore. Lettres d'amour en temps de guerre. Sillery, Septentrion, 2008.
Après le décès de sa mère, en 2003, Denys Lessard découvre des liasses de lettres échangées par ses parents pendant leurs fréquentations entre juillet 1942 et juillet 1945. C'est la guerre, Gérard s'enrôle dans l'armée un mois après avoir rencontré Jeannine Nadeau dans un tramways. D'un camp d'entraînement à l'autre, « Kaki » lui déclare son amour et lui fait part de son ennui. Plus discrètes, les lettres de « Jeannot » font état de son quotidien mais aussi de ses états d'âme. Dans les deux cas, comme ils viennent de se rencontrer, entre les permissions, c’est par l’écriture qu’ils apprennent à se connaître. Ils se fiancent à Noël 1943, quand Gérard, stationné en Colombie-Britannique, est en permission. Ils s’épouseront à sa démobilisation en 1945. Dans l'ensemble, même si on a conservé plus de lettres de Jeanine que de Gérard, l’auteur met plus l’accent sur son père que sur sa mère. C’est lui qui est au centre du livre.
Le fils du couple publie un livre difficile à définir : il ne publie pas une édition des quelque 900 lettres qui constituent son corpus, mais il les commente autour de trois thèmes privilégiés : écrire, combattre, désirer. Des extraits de lettres, de quelques lignes à quelques pages, ne sont pas organisés chronologiquement, mais ils ont été sélectionnés pour tomber dans ces trois sujets. Entre ces extraits, les réflexions de leur fils nous renseignent sur le contexte de l'époque ainsi que sur ses propres interrogations.
La section qui touche à l'écriture décortique la forme des lettres, leur style, leurs messages, leur importance pour chaque correspondant, avec les commentaires du fils insérés entre les extraits de lettres. Le chapitre « Combattre » traite de la vie militaire, du sens de l'effort de guerre. Gérard passera ses trois années dans l'armée dans une douzaine de bases militaire au Canada et n'aura aucun goût pour « cette vie plate et stérile ». Pendant qu'il cherche sans succès à se faire déclarer inapte, Jeanine, qui multiplie ses encouragements dans des lettres où, écrit-il, « il puise sa force et son courage ».
La dernière section, plus courte mais non moins éloquente, est consacré au désir, physique, de Gérard pour sa fiancée absente. Dans la vingtaine, il n'hésite pas à lui fait part de ses pulsions.
Un épilogue nous renseigne sur la vie de Gérard revenu dans le civil, sur ses cours de dessin commercial et son métier de lettreur. Il poursuit l’histoire jusqu’au décès de son père, puis celui de sa mère 18 ans plus tard. Le fossé est grand entre le jeune homme amoureux, exubérant, et le père distant chez qui « le rêve de jeunesse n’a pas pu survivre à l’épreuve du réel ».
Denys Lessart inclut plusieurs illustrations, des photos de ses parents, du papier à en-tête de l'Armée du Salut pour les lettres de son père, des croquis de celui-ci qui sait bien dessiner,
Cette sélection de lettres n’est qu’un avant-goût de la richesse de cette correspondance qui peut être dépouillée dans son intégralité à la BAnQ où est conservé le fonds Gérard Lessard et Jeannine Nadeau (P806)
CITATIONS
J'ai toujours pensé que les mots sont superflus, inadéquats pour te dire mon amour ou mon bonheur, du moins quand je suis avec toi, mais loin de toi, je vois qu'ils sont utiles, nécessaires mêmes... 21 mai 1945, p. 22.
Jeannot, ne manque pas d'écrire chaque jour si possible, les jours n'achèvent plus quand ils ne me parlent pas de toi. 11 octobre 1944, p. 25.
COMPTES-RENDUS
de fonds déposés aux APM
FONDS FAMILLE BROUILLET BÉLANGER APM 67
Ce fonds familial rassemblent plusieurs types de documents des familles Brouillet, Bélanger, Émard et Gauthier. Le docteur Joffre Brouillet (1931-1988), endocrinologue à l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, est poète à ses heures. Ses poèmes, en vers ou en prose, écrits entre 1974 et 1988, expriment ses émotions, ses désirs, sa sensibilité à la nature. Il se dit silencieux; c'est dans l'écriture qu'il livre ses sentiments les plus profonds. Dans sa poésie, au travers les ans, il évoque le plaisir que lui procurent ses enfants, puis ses petits-enfants et toujours son amour indéfectible à sa femme, Marie Bélanger.
À 57 ans, en juin 1988, il entre à l'hôpital pour un cancer de la gorge. Il subit une chirurgie, séjourne aux soins intensifs, puis en réhabilitation, et de nouveau à l'hôpital. Lui qui aimait redonner espoir à ses malades, se bat entre l'espoir et la défaite que, quatre mois avant sa mort, il dit devoir avouer. Avant de partir, « l'époux, le père, le grand-papa » assure les siens de son amour. À côté de ses sentiments, il note l'évolution de sa maladie – car on ne peut rien lui cacher - et les interventions auxquelles il est soumis. Médecin, lucide, il suit chaque traitement, chaque médicament, qui accompagnent la progression de son mal. Heureusement, il peut continuer à écrire, des notes, des poèmes et des souhaits.
Ce soir, c'est avec amertume
Que j'ai comme l'instinct
d'écrire mes paroles dernières
Dans le même fonds, le cahier tenu par Blanche Émard Bélanger (1875-1958), la grand-mère de Marie Bélanger Brouillet, contient de courtes biographies des membres de la famille Bélanger, ainsi qu'un journal commencé dans les années 1940, dans lequel sont notés les événements familiaux, naissances, baptêmes, mariages, maladies, voyages.
Blanche Émard Bélanger a aussi laissé un livre de recettes copiées pendant la première moitié du XXe sièce, et dans lequel on retrouve nombre d'anciennes recettes québécoises. Elle en inscrit souvent l'origine, comme le pouding au suif et le catsup (sic) rouge de sa mère (Mathilde Beaudin Émard), et les galettes sucrées de grand'mère Bélanger. Elle ajoute parfois un commentaire : le pain de ménage est superbe, la charlotte russe magnifique, le plum pudding de madame Maheu est excellent.
Une généalogie de la famille Bélanger, descendante de Nicolas Bélanger, arrivé en Nouvelle-France en 1659, et de la famille Gauthier issu du domestique de Mgr Laval, Bernard Gonthier arrivé en 1663, permet de situer les protagonistes.
DE LA COLLECTION AUTOBIOGRAPHIQUE
Outre les documents d'archives proprement dits, c'est-à-dire les textes personnels originaux et inédits, les APM recueillent des écrits dont il existe plus d'une copie : des mémoires rédigés pour ses petits-enfants par exemple, ou l'histoire d'une vie racontée pour un cercle d'amis, ou encore un livre publié à compte d'auteur. Nous vous en offrons des comptes rendus au même titre que ceux des fonds d'archives.
Françoise CHESNAY. CA38. Vol. 1 Le récit de mamie Loute; vol. 2 1937-1947 Sur les traces de mes parents pendant la Seconde Guerre mondiale; vol. 3 Écrit sous la menace.
Françoise Chesnay (Marie-Françoise Lafond), a offert aux APM trois cahiers qui saisissent trois moments de son histoire familiale. C’est tout d'abord sa mère qui livre Le récit de Mamie Loute. Celle-ci se souvient de son enfance à Paris, avec des vacances chez la famille dans le Dauphiné. Elle fait revivre les années de guerre : la mobilisation en 1914, les cousins réfugiés, les privations, les Zeppelins et les bombardements de Paris. Jusqu'à l'Armistice de novembre 1918 saluée par le bourdon de Notre-Dame. Loute a eu une jeunesse heureuse qu'elle partage avec nous dans un récit trop court, inachevé, car elle s'est éteinte pendant sa rédaction en 1983.
Dans un deuxième cahier, Françoise poursuit l'histoire de ses parents de 1937, année de leur mariage, à 1947, année de sa naissance. Historienne, Françoise peut reconstruire le contexte de la guerre, surtout la vie de son père, Paul Lafond, qui passe dans la clandestinité et rejoint un groupe de maquisard, et de sa mère qui le suit dans des villes de garnison pour se fixer à Tours, puis se réfugier pas très loin. Ses parents nous deviennent très familiers car elle sait déconstruire leurs photos, (je pense ici à Hélène Gestern dans Nous deux sur la photo), et évoquer des conversations.
Le dernier volume, autobiographique celui-là, a un titre évocateur : Écrit sous la menace, est un récit autobiographique de 71 pages écrit à la lumière de la catastrophe climatique et environnementale contemporaine.
Double menace : la covid et le désastre environnemental, chacune avec sa police d’écriture : le présent en 14, le passé, plus petit, en 10. Françoise, la babyboomer, relate son adolescence, ses interrogations, ses doutes, pendant les années d'après-guerre, non sans rappeler Les Années d’Annie Ernaux : la société de consommation, son premier maillot de bain (en laine piquante), ses albums Tintin, son nouveau transistor et mieux encore : la télévision. Le tout vécu dans une indifférence aux retombées environnementales que l'auteur sait très bien décrire. Tour à tour la menace s’affirme : la couche d’ozone qui se déchire, les gaz à effet de serre qui réchauffent la planète, les microplastiques polluant à l’infini. Et l’autrice de se questionner : comment en est-on rendu là? De quand date sa « première prise de conscience environnementale »?
Parallèlement à sa trajectoire intellectuelle, on suit son histoire personnelle, son immigration au Québec, en passant par le Madagascar. Le tout entrecoupé par d’évolution de la covid, de confinement en confinement.
Et comme une coda à ce dernier récit, elle nous propose une nouvelle de 24 pages qui met en scène le pompier Maxim et l’Autre, sa créatrice. Une histoire aux fins multiples, ou plutôt sans fin car, dit-elle, « je ne la connais pas ».
CITATIONS
Bien sûr j’aurais voulu ces parents plus gais, plus insouciants, plus optimistes. Je ne compris que de longues années plus tard la source de leur mal. 1937-1947. Sur les traces de mes parents pendant la Seconde guerre mondiale. P. 49.
Quand je repense à cette époque, une chose m'apparaît clairement. Comme souvent, les gens faisaient de leur mieux. Beaucoup s'interrogeaient sur la façon d'organiser le monde? Fallait-il le faire d'une manière plus autoritaire? Plus démocratique? … Comment partager les richesses? … Comment combattre les inégalités?... Comment protéger nos libertés? Écrit sous la menace, p. 18.
Quant au prix à payer pour la planète, personne, mais alors absolument personne ne s’en souciait”. Écrit sous la menace, p. 20.
La pandémie que nous subissons est la première grande crise planétaire de notre siècle. Et elle n’est pas due au hasard. Écrit sous la menace, p. 44.
NOS LECTURES
Jean-François GINGRAS, Journal d’Angélique Gilbert 1924 à 1942, une commerçante dans la tourmente, La Malbaie, Éditions Charlevoix, 2021.
Femme d'affaire, commerçante, mère de 13 enfants, diariste, Angélique Gilbert mérite qu'on s'en souvienne. Son arrière-petit-fils, Jean-François Gilbert, s'est chargé de raconter sa vie et son époque à partir de son journal personnel dans huit articles publiés dans la Revue d'histoire de Charlevoix, et réunis ici dans un livre qui rend très bien l'époque où Angélique Gilbert tenait le magasin général Jos Simard à Baie Saint-Paul. Jean-François Gingras, qui a une formation en histoire, contextualise et analyse le journal personnel de son arrière-grand-mère et publie ce livre dans le but « d’enrichir notre compréhension de la vie du Québec d’avant la Révolution tranquille, de la vie des femmes qui ont trimé dur, qui ont fait face à des vents contraires à leurs aspirations et à leurs désirs » (p. 19) et agrémente le texte de nombreuses photos.
En 1902, Angélique épouse Joseph Simard qui tient un magasin général de Saint-Urbain, puis à Baie-Saint-Paul. Après son décès, en 1930, elle reprend le commerce, en plus de l'élevage des renards commencé par son mari, du poste d'essence et de la cour à bois attenants au magasin, et des sept enfants dont quatre, de 4 à 12 ans, encore à la maison.
En 1902, Angélique épouse Joseph Simard qui tient un magasin général de Saint-Urbain, puis à Baie-Saint-Paul. Après son décès, en 1930, elle reprend le commerce, en plus de l'élevage des renards commencé par son mari, du poste d'essence et de la cour à bois attenants au magasin, et des sept enfants dont quatre, de 4 à 12 ans, encore à la maison.
Angélique Gilbert entreprend son journal en 1924, à l'âge de 42 ans, et le poursuit jusqu'en 1948, mais seulement le premier tome, jusqu'en 1946, a survécu. Comme dans la plupart des diaristes, Angélique entremêle le public et le privé, sa vie personnelle - sans trop révéler de son intimité - et celle de son commerce et du village.
Malgré tout son travail, ses enfants demeurent au cœur de sa vie : elle veille à leur éducation et voit à les « installer ». Elle les pousse à poursuivre leurs études à une époque où l'éducation n'était pas gratuite. Et ce malgré les pleurs au moment où les enfants vont au pensionnat. Quand un de ses fils, à 15 ans, quitte la maison en pleurant pour aller au collège, elle écrit : « Il n’aime pas cela, mais faut se faire instruire pareil » p. 49. Plus tard, elle les aide à se trouver du travail ou à financer leur maison, sans leur charger d'intérêt, et leur prodigue des conseils sur leurs investissements.
Gingras insiste sur la présence de la maladie dans la famille. Son aïeule note les maladies des enfants et les siennes, à une époque où la sainte Vierge et les prêtres guérissent autant que le médecin. Elle note le coût du médecin et du dentiste : ainsi, l'extraction de deux dents coûte 5$, soit une semaine de travail d'un commis au magasin.
Cette « mère de famille nombreuse » est une femme d'affaire qui tient le livre de compte, fait l'inventaire annuel du magasin, suit les cours de la bourse et investit prudemment, le tout « avec économie, sans fierté et sans luxe », comme elle l'écrit.
Gingras consacre un chapitre au tremblement de terre de 1925 tel que vécu par son arrière-grand-mère et par les habitants de la région. Chez les Simard, on s'effraie, on prie, après quoi les enfants et la mère couchent tous ensemble car « ce serait moins dur de mourir tous ensemble » (p. 102). Les inondations de 1922 et de 1936 ne furent non moins éprouvantes et sont aussi suivies au jour le jour dans le journal d'Angélique.
Celle-ci semble plus à l'aise à rapporter des événements qu'à parler de ses sentiments. Elle a la pudeur et la discrétion d'une génération qui évite de s’apitoyer sur son sort et de partager ses émotions car elle écrit un journal personnel plutôt qu'un journal intime. En conclusion, l'auteur tire des enseignements des écrits de son arrière-grand-mère qui sont prétexte aux réflexions, très contemporaines, de l’auteur sur l’éducation.
L’original du journal a été déposé par l’auteur à la Société d’histoire de Charlevoix.
CITATIONS
Marie-Anna dit que le livre [le journal] sera a elle apres ma mort elle le fera lire a toute mes enfants d'abord ensuite elle pourra le transcrire un peut mieux ou par sr Angélique moi j'ai toujours ecris sans reflechir puisque j'etais toujours pressé d'ouvrage le dimanche soir. 5 novembre 1939 p. 183.
Cécile GAGNON, Un profond silence. Montréal, Éditions Pilou3, 2023.
Cécile Gagnon nous avait surtout habitués à ses nombreux livres jeunesse qui ont fait rêver deux ou trois générations d'enfants et d'ados depuis les années 1960. Dans son dernier ouvrage, elle s'éloigne de son genre de prédilection pour aller débusquer un secret familial que parents et grands-parents lui avaient toujours caché.
L’autrice entendait peu parler de son grand-père paternel, décédé avant sa naissance. Ce notable de Saint-Hyacinthe est un jour séduit par la perspective de se lancer en affaires qui rapporteraient plus que sa profession de notaire. Ce qui l'amène à déraciner sa famille de Saint-Hyacinthe pour s'établir à Montréal. Quelques mois plus tard, écrasé sous les dettes, il décède subitement peu après le 15e anniversaire de la mère de Cécile Gagnon. D'une crise d'angine, disent les journaux. Il s'agirait plutôt d'un suicide bien dissimulé. En 1910, c'est un péché mortel, une honte, un scandale qui éclabousse toute la famille et empêche d'être inhumé dans un cimetière catholique.
Cécile Gagnon sait très bien traduire l'époque où s'est produit ce drame avec ses conséquences sur la famille, le changement de ville pour fuir les rumeurs, l'importance de ne pas perdre sa « réputation », le rôle de la mère devenue chef de famille.
Par discrétion, l'autrice a attribué des pseudonymes à tous ses protagonistes. Les quelques illustrations nous rappellent que Cécile Gagnon était d'abord une illustratrice de renom et nous fait regretter qu'il n'y en ait pas davantage.
Un beau petit livre qui s'ajoute aux témoignages d'une époque où le scandale était étouffé.
Par discrétion, l'autrice a attribué des pseudonymes à tous ses protagonistes. Les quelques illustrations nous rappellent que Cécile Gagnon était d'abord une illustratrice de renom et nous fait regretter qu'il n'y en ait pas davantage.
Un beau petit livre qui s'ajoute aux témoignages d'une époque où le scandale était étouffé.
CITATIONS
C'est un sentiment nouveau qui s'empare de Camille. Après les larmes et le chagrin, la voici envahie par la honte.
La honte, à cause de la faute soupçonnée de son père. La honte qui la pousse à refuser de sortir de la maison... La honte qui la torture. P. 29-30.
Après cet aveu, Héloïse donne à sa fille une grande preuve de confiance. Camille saisit enfin que le geste de papa conditionne désormais et à tout jamais leur avenir. P. 34.C'est un sentiment nouveau qui s'empare de Camille. Après les larmes et le chagrin, la voici envahie par la honte.
La honte, à cause de la faute soupçonnée de son père. La honte qui la pousse à refuser de sortir de la maison... La honte qui la torture. P. 29-30.
Après cet aveu, Héloïse donne à sa fille une grande preuve de confiance. Camille saisit enfin que le geste de papa conditionne désormais et à tout jamais leur avenir. P34.
EN VRAC
Il faut saluer la merveilleuse initiative de l'Université de Galway qui a numérisé plus de 7000 lettres d'émigrés irlandais depuis le XVIIe siècle. On trouve 112 lettres du Canada, chacune résumée en exergue, et quelques-unes dactylographiées. La recherche est très facile, par mots-clés. On peut passer des heures sur ce site https://imirce.universityofgalway.ie/p/ms?pageTitle=Home+-+University+of+Galway+Digital+Collections
Au XIXe et XXe siècle, plusieurs lettres des employés de la Baie d'Hudson au Canada ne se sont jamais rendues à leurs destinataires et, conservées dans les archives de la Compagnie, n'ont pas été réclamées. Helen M. Buss et Judith Hudson Beattie ont réuni, présenté et publié plus de deux cents de ces lettres orphelines. https://www.ubcpress.ca/undelivered-letters-to-hudsons-bay-company-men-on-the-northwest-coast-of-america-1830-57
Flea Market Love Letters, un projet commencé en 2017, à Washington, DC, et déménagé à Dublin en 2018, Irlande, en 2017, recueille des lettres et cartes postales, surtout de militaires, souvent trouvées, comme le titre l’indique, dans des brocantes. Sur le site, on trouve des transcriptions de lettres et des photos. https://www.fleamarketloveletters.com/what-is-flea-market-love-letters
Pour savoir ce qui se publie, surtout en France, sur la correspondance, il faut lire L'Épistolaire http://www.epistolaire.org/revues/revue-n47-2021/
Nous attirons votre attention sur l’excellent publication de la BAnQ : Aux rayons verts, revue thématique dont le dernier numéro porte sur le voyage. Le titre évoque le roman de Jules Verne et comme l’auteur, en une vingtaine de pages, elle vous transportera dans d’autres mondes. Cette revue mérite d’être mieux connue si ce n’est que pour son iconographie superbe.
Nous vous signalons le dernier numéro de l'European Journal of Life Writing, une revue interdisciplinaire, libre d’accès, publiée par la section européenne de l'InInternational Auto/Biography Association (IABA Europe), https://ejlw.eu/announcement/view/177
CONSEIL D'ADMINISTRATION des APM :
Maud Bouchard-Dupont, historienne
Barbara Creary, avocate
Sophie Doucet, historienne
Marthe Léger, archiviste
Andrée Lévesque, historienne
Archiviste : Rachel Marion
On remercie les bénévoles Ariane Comeau, Annick Desmarais et Catherine Guenette. Et Stéphane Lévesque pour le site internet.
Les Archives Passe-Mémoire sont enregistrées comme organisme sans but lucratif. Elles sont soutenues par des bénévoles – sauf pour l’archiviste – et acceptent les dons.
Les APM sont aussi reconnues comme un organisme de bienfaisance qui remet des reçus de charité pour l'impôt.