Le Bulletin des APMVolume IV, numéro 1, mai 2014Avec le printemps, les fonds entrent aux archives, variés, passionnants, étalés surtout sur le Xe siècle. Il y a quelques années, Justine nous faisait parvenir son journal personnel de 1960, alors qu'elle avait 15 ans. Elle vient de nous remettre la suite, de juin à octobre 1961. On suit sa vie d’adolescente, dans un village du Québec, décrite au jour le jour pour celui qu’elle appelle « Cher Fripon ». Un petit bijou. Pagesy poursuit son extraordinaire journal presque quotidien et vient de nous remettre les cahiers 54 à 57 pour l’année mai 2013 - mai 2014. Le designer Serge Lafrance a déposé de précieux documents personnels : histoire de vie, recueils de poèmes, journal de voyage, lettres échangées depuis les années 1970, photographies et même son passeport de l’Expo 67. Ginette Bertrand nous a confié un récit autobiographique, un journal personnel, de la correspondance et plusieurs cassettes audio. Ginette Thomas vient d'offrir une abondante correspondance qui s'échelonne de 1981 à 1993. Monique Saint-Laurent a déposé la correspondance et le journal personnel de sa mère de 1950 à 2000 ainsi que de nombreux documents liés à sa famille. On nous a aussi remis les lettres de sœur Saint Cécilius, Dame de la Congrégation, à ses parents en 1916. La collection autobiographique, composée d’écrits dont il existe des copies ailleurs, vient de s’enrichir de l'autobiographie de Roméo Dupont de Saint-Jean-Port-Joli que nous a offerte sa petite-fille Maude Dupont-Bouchard et dont elle fait le compte-rendu dans ce Bulletin. Notre archiviste Denis Lessard termine le traitement du fonds Charbonneau-Tardivel. On y découvre une belle histoire d'amour par correspondance de 1942 à 1946 entre Gisèle Charbonneau, infirmière, et Jean Charbonneau, militaire dans la Marine canadienne stationné à Goose Bay. On y trouve aussi la correspondance et les journaux de voyage du frère Lucien Charbonneau, c.s.v. Le Bulletin de l'APM entre dans sa quatrième année et ce numéro se penche sur les illustrations, croquis, pastels, fusains, qui accompagnent souvent les écrits personnels. On trouve aussi des comptes-rendus de fonds par Maude Bouchard-Dupont et Andrée Lévesque ainsi que le compte-rendu de l'autobiographie de Léon Ouaknine Ni d'ici, ni d'ailleurs, le Québec, les Juifs et moi, et du livre de Muriel Garon Fragments d’amours perdues.
LES ILLUSTRATIONS DANS LES ÉCRITS PERSONNELS
On ne trouve pas les mots pour le dire. On s’extasie devant un monument, on est submergé d’émotions après une rupture, on regarde la neige tomber, mais aucun terme ne semble adéquat pour traduire ses sentiments. Souvent les diaristes ou les correspondantes ont alors recours au croquis, au pastel ou même à l’aquarelle pour mieux se souvenir, pour mieux communiquer ce qui leur a coupé le souffle. Transmettant au lectorat que nous sommes non pas l'émotion qu'eux ou elles-mêmes ont ressentie, ce qui serait impossible, mais nous émouvant à la vue de ce qu'ils ont dû traduire autrement que par des phrases. Les journaux personnels de personnages célèbres du XIXe siècle offrent maints exemples d’illustrations venues préciser le récit ou fixer le souvenir. Que le journal de l’artiste Eugène Delacroix contienne des dessins ne surprend pas, soit pour traduire « l'effet sublime de Saint-Jacques de Dieppe vu au clair de lune », soit pour immortaliser les tombeaux de l’église de Baden. D’autres diaristes célèbres, sans être artistes, ont aussi voulu suppléer au langage des mots. Ainsi, Stendhal, dans son journal, immortalise par des croquis des lieux et des personnages. Les lettres de Félicien Rops contiennent des croquis exquis. Moins connu, le journal d’Annabella Freeling, une jeune anglaise résidant à Bruxelles de 1878 à 1891, inclut des dessins et des aquarelles. Mais le plus illustré des journaux est sans doute celui de Charlotte Salomon (1917-Auschwitz 1943) entièrement composé de 1300 feuillets dont 750 gouaches. Charlotte n’est pas revenue du camp, mais Helga Weissovoa a survécu et vient de publier son journal accompagné de ses saisissants dessins d’adolescente. Au XXe siècle, l’appareil photo a remplacé ces illustrations et est devenu l’aide-mémoire à la portée de tous. Une démocratisation, dirons-nous, et qui a révolutionné l'art de se souvenir. Rappelons que pour les archives les photos ne sont pas sans causer de problèmes de conservation et que, pour avoir un intérêt, elles doivent être identifiées et si possible datées.
Dans les lettres et les cahiers confiés à l'APM se cachent des illustrations qui ne manquent jamais d'émouvoir la première fois qu'on les découvre entre deux pages d'un journal ou glissées dans une lettre écrite en voyage. Beatrice Ferneyhough s'est captée elle-même affalée sur son pupitre. À nous de deviner si elle était épuisée après un grand effort de création, ou si elle était trop fatiguée pour écrire. Pardalys a déposé plusieurs aquarelles. De nombreux dessins accompagnent les écrits de Serge Lafrance. En voyage en Grève, Ramina dessine les colonnes doriques, ioniques et corinthiennes pour pouvoir les identifier. Julia Couture-Boucher a laissé de bien jolis pastels. Les illustrations forment une partie intégrante des écrits personnels, elles servent d'aide-mémoire, elles révèlent les sentiments autrement inexprimables, elles saisissent les préoccupations du moment et suppléent à la déficience des mots.
En voici quelques exemples :
Julia Boucher Couture, probablement un autoportrait, sur une carte envoyée à Danielle Dionne
Serge Lafrance, croquis réalisé lors de ses études à Paris
Pardalys, Chats I
COMPTES-RENDUS de fonds déposés aux APM
APM 24 La famille de Sales Laterrière-Henry (1864-1995)
Pendant trois générations on s’est écrit, on a rédigé des journaux de voyage, on a parfois tenu un journal personnel, et ainsi légué des écrits qui permettent de reconstituer une histoire familiale dont le cœur, incarné par Héva de Sales-Laterrière, se situe à Québec. L’ancêtre d’Héva, l’albigeois Pierre de Sales Laterrière, dont Bernard Andrès a laissé une biographie romancée remarquable, immigre à Québec au lendemain de la Conquête ; il sera directeur des travaux des Forges du Saint-Maurice, médecin diplômé du collège Harvard de Boston et seigneur des Éboulements. Plus d'un siècle plus tard, Héva épousera l’ingénieur Gabriel Henry, immigré de la région Champagne-Ardenne au tournant du XXe siècle. Le couple a deux fils : François (1903-1989) et Édouard (1904-1987) que leurs lettres, échangées avec leurs parents et amis, nous font découvrir. Tous deux pensionnaires dès l’école primaire, ils écrivent assidûment à leurs parents, les assurant de leur amour, de leur gratitude et de leur travail à l’école. Ils ne perdront pas l’habitude de la correspondance. La famille est bourgeoise sans pour autant baigner dans le luxe. Madame de Sales Laterrière-Henry louera trois chambres pour payer les études de médecine de François. On suit ce dernier pas à pas dans les lettres et, pendant les vacances, les cartes postales, quand huit jours sans nouvelles semblent bien longs. Reçu médecin, François pratique à Parent, en Abitibi, avant de poursuivre des études à Londres en passant par Paris. En 1937, en catholique conservateur, il porte sur le Bloc populaire un regard impitoyable. Sa mère Héva ne manque pas de continuer à lui prodiguer ses conseils, à transmettre des nouvelles de la famille, tout en commentant l’actualité politique : désillusion causée par Maurice Duplessis, souhait que le comte de Paris retourne sur le trône. À l’été 1937, la mère et le fils se rencontrent en France et d’août à novembre Héva rédige un journal de voyage dans lequel elle décrit d’abord son émotion à fouler le sol français, puis la campagne, les monuments, les gens. Enfin, à son retour François deviendra ophtalmologiste à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Les rêves de sa mère sont comblés. Mais François n'a pas fait qu’étudier à Londres. Il y rencontre Louise Hawley qui émigrera pour devenir son épouse. Les fréquentations longue distance ne se font pas sans heurts car ce n’est qu’après son arrivée à Montréal qu’il obtiendra enfin le consentement de sa mère.
EXTRAIT En apprenant la nouvelle de la mort de l’oncle des enfants, âgés de 6 et 7 ans, Héva ne manque pas de le citer en exemple : « Imitez-le mes chers enfants, leur écrit-elle en 1910, et que son souvenir ait pour effet de comprendre mieux que vous ne l’avez fait jusqu’ici tous les sacrifices que vos chers parents ne cessent de faire de puis tant d’années pour vous procurer l’instruction dont vous paraissez si peu vous soucier de profiter. »
APM 13 La famille Paulhus, 1950-1954 Quelques lettres et cartes postales, mais d’autant plus précieuses qu’elles proviennent de gens peu portés sur la correspondance. Léopold Paulhus travaille sur le bateau de son frère Albert qui fait le trajet entre Montréal et les Grands Lacs et il écrit parfois à sa femme, car il s’ennuie et trouve le temps bien long. Il lui offre ses vœux du Jour de l’An en 1950. Plus tard, il lui recommande de bien gérer le budget familial, de lui écrire plus souvent, d’être fidèle et termine en l’assurant de sa propre fidélité. Oliva Letendre Paulhus, la mère de Léopold, a laissé une longue lettre à ses enfants dans laquelle elle leur fait part de la visite de la famille des États, du circlaune (cyclone) qui a abattu arbres et maisons, du centenaire de la paroisse Saint-Thomas-de-Pierreville, des noces d’une cousine, sans oublier les conseils de s’habiller chaudement pour ne pas être malade pendant l’hiver. Quelques lettres, trop peu nombreuses, très simples, et qui évoquent toute une époque où on cultivait ses patates et son tabac, et où on pouvait gagner 70$ par semaine de 50 heures sur un bateau.
EXTRAIT « J’ai trouvé la semaine bien longue la semaine passé j’allais a la malle a tous les matin puis je ne resevais j’amais rien je n’etait pas de bonne humeur contre toi. Les autres sont marié il ont une grosse famille puis il resoive une lettre tous les deux jours et toi je me demande …….. ». Léopold Paulhus, janvier 1950
DE LA COLLECTION AUTOBIOGRAPHIQUE:
Roméo Dupont : Journal – 1974/1978-1979 En 1974, Roméo Dupont débute l’écriture de ses mémoires « d’une vie laborieuse » mais néanmoins heureuse grâce à la présence de son épouse et de ses enfants auxquels il dédie ce journal. La première section du journal écrite par Roméo en 1974 relate son enfance, son adolescence, son travail sur la terre et dans les chantiers, son mariage et la naissance de ses douze enfants. La deuxième section écrite en 1978 et 1979 a la forme d’un journal intime où il raconte son quotidien à une période charnière où il est contraint d’abandonner la vie active pour des raisons de santé. Onzième enfant d’une famille de douze, Roméo Dupont est né le 3 décembre 1900 à Saint-Jean-Port-Joli sur la Côte-Sud. Son père, Joseph Dupont, est voyageur pour la compagnie d’équipement agricole Singer, Frost & Woods et sa mère, Paméla Chouinard, est couturière. La famille Dupont réside au cœur du village de Saint-Jean-Port-Joli devant l’église paroissiale. Roméo raconte une enfance heureuse. En tant qu’avant-dernier de la famille, «il fut gâté par les aînés et une mère qui avait une patience à toute épreuve ». D’une « grande bonté », sa mère Paméla accueille les jeunes mamans qui attendent la messe et les quêteux à la recherche d’un refuge et d’un repas chaud. Joseph, le père de famille, n’hésite à surnommer leur maison comme étant un « refuge des pêcheurs ». Roméo est admis à l’école à l’âge de sept ans où il reçoit une instruction très stricte en ces temps où les religieux « font la pluie et le beau temps ». Il se rappelle de la présence des religieuses nouvellement arrivée de France qui « ne parlent pas pareil comme nous. Ça nous fait rire et pour cela nous attrapons des coups de bâtons. Je crois que nous le méritons ». À l’école, Roméo tombe amoureux pour la première fois. Surpris par la Supérieure à embrasser une jeune pensionnaire du couvent, le jeune homme est mis à la porte de l’école à 15 ans. Malgré les remontrances qu’on lui a faites, Roméo écrit n’avoir « jamais regretté ce péché si satisfaisant ». En bon père de famille, Joseph prend son fils en main et l’envoie travailler. Pour Roméo, il s’agit d’un nouveau départ : « c’est là que j’ai reconnu la sagesse et le bon jugement et l’estime que j’ai pour lui [mon père]. Après avoir travaillé durement pour mon âge, ceci m’a transformé. Je n’étais plus le même, j’étais heureux. » Il viendra en aide à son frère Charles-Émile établi sur une terre à Saint-Pamphile. Lorsque le chemin de fer est construit près de Tourville, Roméo, alors charretier, relate les batailles entre les groupes de travailleurs italiens et la peur qu’il éprouve lorsqu’il se trouve confronté à eux : « sur le trajet, j’en ai rencontré qui m’ont fait peur mais papa me disait : Sois poli et brave, ça ira bien. » C’est au chantier des Carrier aux Sept îles près de la rivière Saint-Jean dans le Maine, que Roméo, âgé de 19 ans, rencontre sa future épouse, Rose-Aimée Cloutier. Celle-ci, alors âgée de 15-16 ans, travaille à la cuisine de chantier depuis ses douze ans. La jeune fille est bien de son goût : « elle était belle comme je n’en ai jamais vu, des belles joues roses, une belle bouche, des yeux bleus et une chevelure blonde ondulée et pour le reste une tournure à mon goût. » Roméo doit faire la cour à la jeune fille pendant près de deux ans avant de l’épouser : « C’était dans un temps où nous étions chaperonnés au possible. Comme j’étais très épris d’elle, que de fois j’aurais voulu l’embrasser. Pas moyen il y avait toujours une paire d’yeux sur nous. » Les amoureux se marient le 23 octobre 1923. Ayant décidé de s’établir à Saint-Pamphile, le couple cohabite les deux premières années de leur mariage avec le frère de Roméo, Charles-Émile, alors veuf et en 1925, ils s’établissent sur une terre. Entre 1924 et 1948, le couple donne naissance à douze enfants. Comme Roméo l’indique lui-même « ça venait les enfants dans ce temps là. C’était la coutume. Il le fallait car on avait l’enfer sous les pieds si ça ne se passait pas de même. »... « On est rendu à sept enfants. Plus nous en avions, plus en plus ils étaient beaux et fins.» Au cours de sa vie d’homme marié, Roméo travaille sur la terre et dans les chantiers au Canada et aux Etats-Unis. Roméo a également connu une vie publique très active dans la décennie 1940. Mais tout cela n’est pas relaté dans ses mémoires. Faute de temps peut-être, mais n’oublions pas que ce journal est destiné avant tout à ses enfants et aux souvenirs qu’ils évoquent pour lui :
EXTRAIT : « Il me vient à l’idée un souvenir de votre enfance qui m’a été si cher au cœur, moi qui vous aime tant : c’est, je m’explique quand votre mère vous envoyait en haut du champ où je fauchais du foin à la petite faux, où votre mère vous envoyait pour l’heure du repas, et que debout sur la clôture où vous étiez 5 ou 6. J’entendais vos voix enfantines. Ce beau concert qui résonnait si doux à mes oreilles : « Papa, vient dîner ». Il me semble qu’à l’heure actuelle l’harmonie des voix sonne toujours à mes oreilles, ce que je n’oublierais jamais. » p. 11. Maude Bouchard Dupont
VOS LECTURES Muriel Garon, Fragments d’amours perdues. Montréal, Éditions Muriel Garon, 2013. L'auteure Muriel Garon explique d'abord pourquoi elle a entrepris de reconstituer l’histoire de la famille de son père Laurier Garon : pour poursuive les recherches généalogiques de celui-ci, pour rendre compte de leurs nombreuses conversations, et aussi pour élucider des mystères. Qui ne se souvient des événements ou des personnages dont on ne parlait qu'à voix basse, qu'on taisait dès que les enfants entraient dans la pièce? On soupçonne que ce n'est qu'à la fin de sa vie que Muriel Garon a commencé à mieux connaître ce père discrets, très présent mais plutôt silencieux comme bien des hommes de son époque. Pour raconter la vie de Laurier Garon (1912-2012), il a fallu remonter à quelques générations et presque la moitié du livre est consacré à la vie tempétueuse de ses parents Louis-Hector Garon (1886-1969) et Graziella Fournier (1885-1977). Né à Montréal, élevé à Saint-Hyacinthe, Louis-Hector sera gérant d'une manufacture de cigares à Farnham avant de s'établir à Montréal en 1919. Graziella est née à Marieville où elle a fait ses études. On comprend vite le titre du livre « Fragments d'amours perdus. » Des amours se nouent et se délient par un décès, par une saute d'humeur, pour des raisons inconnues, destin auquel le couple n'échappera pas. Car Louis-Hector est un jeune homme flamboyant et Graziella doit subir ses frasques et ses escapades. Le couple ne résistera pas et se sépare vers 1931. Leur petite-fille raconte cette histoire trop banale, mais qu'on jugeait exceptionnelle à cette époque, avec tact, dans les perspectives des différents acteurs et témoins. On découvre, une fois de plus, combien les familles québécoises étaient variées, et combien l'emprise de l'Église s'exerçait de façon bien relative dans la vie privée. Le livre est merveilleusement illustré. Muriel Garon a su exploiter une variété de sources dont les cartes postales collectionnées par Louis-Hector. Ces cartes reproduites font revivre l'époque où elles envoient un double message : celui qu'on écrit à l'endos, et celui que l'illustration évoque. Il faut féliciter l'auteure pour les illustrations, photos de lieux – on nous montre chacune des résidences -, de personnages, d'événements. Il faut mentionner les annexes sur la généalogie, sur la correspondance entre Marie-Ella Solis et Louis-Hector Garon entre 1904 et 1906, et le journal de Laurier en 1931 qui commence ainsi, en pleine crise économique : « Les temps sont durs. Il y a beaucoup de chômage et je suis au nombre des sans-travail. J'ai beaucoup de misère à collecter les loyers de la rue Garnier. Les communistes font des promenades à l'Hôtel de Ville pour avoir de l'ouvrage. La bourse et les affaires sont à terre ». En refermant le livre, on ne peut manquer d'évoquer Tolstoi : « Les famille heureuses se ressemblent toutes; les familles malheureuses sont malheureuses chacune à sa façon. » Anna Karenine.
Léon Ouaknine, Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi, Montréal, Les Éditions Grenier, 2013. Au Québec, terre d’immigration, on a trop peu de témoignages de gens venus d’ailleurs, ce qui rend d’autant plus précieux cet ouvrage de Léon Ouaknine. Ce juif né au Maroc, élevé en Israël et en France, arrive au Québec en 1968. Le premier tiers du livre couvre sa jeunesse de sa naissance en 1942 jusqu’à son départ de Paris. C’est avec beaucoup de sensibilité qu’il décrit ses rapports avec ses parents, ses frères et sœurs, que nous retrouvons sur des photos prises dans ces trois pays. Déjà, il a l’esprit d’aventure et avec des copains il voyage jusque chez les Kalash du Pakistan. C’est l’amour qui amène Léon Ouaknine à Montréal à 26 ans « pour six mois ou un an » : il y est toujours. Il remplit d’innombrables demandes d’emploi, reçoit le soutien, entre autres, de Marcel de la Sablonnière et de Julien Harvey, et essaie divers boulots avant de travailler pour le YMCA, puis pour son pendant juif le YMHA. À partir de ce moment, Ouaknine fera carrière dans le domaine social. Juif séculier, qui professe une aversion pour toutes les religions, il est propulsé dans le rôle de pont entre la communauté ashkénaze bien implantée à Montréal et celle des sépharades d’immigration récente. En fin observateur des mœurs d’ici et d’ailleurs, il décrit sans complaisance l’importance de la philanthropie juive, le conformisme politique sur Israël et la Palestine, les rapports parfois tendus entre francophones et anglophones à l’intérieur de la communauté juive. L’auteur nous lègue le témoignage d’un homme qui, même s’il se dit « ni d’ici ni d’ailleurs », s’implique dans des associations, fait de grands efforts pour défendre le français auprès des jeunes marocains tenté plutôt par l’anglais et ce au début des années 1970, et fera carrière dans le secteur de la santé. Il a obtenu des diplômes de l’université McGill, de l’UQAM et de l’ENAP, il a dirigé le Centre des services sociaux juifs à la famille, il a été nommé directeur de CLSC, a créé l’Institut universitaire de gérontologie sociale, avant de travailler pendant cinq ans comme consultant dans le domaine de la santé en France. Même s’il accorde plus de place à sa vie professionnelle, dans son livre Ouaknine entremêle sa vie publique et sa vie intime, il ne cache pas ses conflits avec certains de ses collègues, ni ses difficultés conjugales. Malgré sa profonde implication dans la vie montréalaise, il est étonnant qu’il évoque « l’invisible muret » qui le sépare des Québécois canadiens-français sans qu’il puisse s’expliquer pourquoi, si ce n’est que son accent est différent de celui des gens ici depuis plusieurs générations. Chacun se définit en partie par le regard de l’autre et Ouaknine offre ce regard honnête et sans complaisance.
BIBLIOGRAPHIE :
Ouvrages récents : Weissova, Helga, Le Journal d’Helga, traduit par Erika Abrams, Paris, Belfond, 2014. Pilon, Nicole, Aime en regardant devant, 2013.
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